Bernardo laissé aux bons soins des gardiens du parking de l’aéroport (et non sans appréhension de quitter notre fidèle compagnon) c’est au départ de Santiago que nous avons pris un vol pour la fameuse île mythique : l’Ile de Pâques ou plutôt Rapa Nui. Par ce voyage, nous voulions aller à la rencontre de ce peuple -les Pascuans- et découvrir leur culture et surtout les Moai ! Auparavant, il a fallu décevoir grandement Nils en lui confirmant que nous ne verrions pas le lapin de Pâques… ni d’oeufs… Dire que cette île porte ce nom car l’amiral hollandais Roggeveen foule son sol le jour de Pâques… c’est tout de suite moins exhaltant (s’il l’avait découverte le jour de Noël je ne dis pas).
Cette petite île (23 kms de long pour 12 kms de large) se trouve à 3 760 kms du Chili et 4 100 kms de Tahiti. Nous prenons donc un vol, sans avoir d’autre choix, avec la compagnie LAN chile (monopole quand tu nous tiens) à un prix exhorbitant (je répète monopole quand tu nous tiens) et nous espérons que la cabana que nous avons loué à Hanga Roa répondra à nos attentes. Dans la file d’embarquement, nous voyons arriver un jeune couple français qui dit nous connaître : la honte, nous n’avions pas reconnu Pauline et Sébastien que nous avions croisé à Ushuaia (aussi sous des trombes d’eau, ça va devenir récurrent cette histoire). Après leur séjour à Rapa Nui,eux filent pour Tahiti, hum je ne sais si je dois continuer à leur adresser la parole…
Les lutins passeront les 5 h de vol à se goinfrer de dessins animés, je crois que quand nous avons attéri, ils avaient les yeux carrés… En descendant de l’avion, premier choc, la température : me fiant à mon guide j’avais supputé (c’est chouette supputé non?) que nous allions avoir de la pluie et un peu froid. Pour la pluie, bingo !!!! 6 jours sur place, 4 jours d’averses, ça calme… (et c’est en voyant les tentes du camping local malmenées par les bourrasques et inondées par les pluies que l’on s’est dit que louer une maison n’avait pas été un luxe). Par contre il fait chaud et moite, ça tombe mal j’ai pas pris de shorts… les enfants m’en veulent déjà “Houuuuuuuhhh cette mère est nulle, remboursez !” Eh mais les enfants, j’ai pris les maillots de bain “Ouaiiiiiis elle est trop géniale cette mère, on va la garder !”comme quoi quelques centimètres carrés de tissus peuvent tout changer. Miguel notre hôte, est là pour nous accueillir avec les fameux colliers de tiare, Bétina est folle de joie, elle en rêvait ! Et nous prenons nos quartiers dans la cabana : nous ne sommes pas déçus une seconde, elle est parfaite ; deux chambres, deux salles de bain (Merlin passera le séjour à prendre des douches matin et soir, comme quoi la pluie à l’extérieur ne lui suffisait pas…) un grand salon et une cuisine parfaitement équipée. Le séjour s’annonce très bien. L’après-midi sera temps de récupération pour tout le monde avec un sprint sous notre première déluge (ah ça peut être vert Rapa Nui !).
Dès le lendemain nous récupérons notre voiture de location et c’est parti pour une visite de l’ïle : ce sera quasi sous des trombes d’eau (oui je sais je l’ai déjà dit, mais ça ne sera pas la dernière fois, histoire de vous mettre dans l’ambiance) Mais entre deux averses nous faisons enfin connaissance avec nos premiers Moai : cri de joie dans la voiture ! Ces géants mesurent en moyenne 4m de haut et pèsent “à peine” 50 t.
Les plus anciennes de ces statues semblent avoir été taillées vers l’an 800. Il y en aurait près de 887, sans compter ceux qui sont sans doute encore enterrés. Ces moai sont principalement érigés en bord de mer, tournés vers l’intérieur et personnifieraient les ancêtres fondateurs de chaque clan : ils protégeaient leurs descendants et transmettaient le Mana (la force spirituelle).
Ils sont pratiquement tous sculptés dans de la roche volcanique provenant de la carrière de Rano Raraku. C’est ce volcan qui servit de carrière : sur chaque versant du volcan, 397 statues inachevées, abandonnées en cours de transport ou cassées. On peut y admirer, couché sur la paroi, la tête vers le haut, le “Géant” le plus grand moai jamais sculpté : il mesure 21,60m et pèse 200 t. Les outils utilisés étaient des pics et des haches polies de basalte. Deux techniques existaient : sculpture directement dans la masse ou bien à l’intérieur d’une grotte que l’on créait artificiellement. On commençait par sculpter la face (tournée vers le ciel) puis progressivement le dos, par dessous laissant ainsi au milieu un axe rocheux permettant la stabilité de la statue. Quand le moai était terminé, en équilibre sur son axe, les derniers coups faisaient sauter celui-ci. On comprend mieux le nombre de moai brisés sur place !
Mais voilà, une fois qu’ils étaient sculptés, il fallait les acheminer sur les lieux de culte et l’on pense que les moai, posés dans des radeaux, étaient glissés sur des rondins de bois. Une autre théorie propose un déplacement alors que le moai est déjà debout et on le fait pivoter millimètre par millimètre à l’aide de cordes. Moi je dis qu’ils devaient rudement s’ennuyer dans le coin, ou plus exactement que les Pascuans n’avaient pas la même notion de temps que nous. Une tradition orale rapporte que les moai se dirigeaient parfois à pieds vers leur ahu grâce au Mana…
Bref, une fois que vous aviez promené votre “petit” moai sur plusieurs kilomètres, vous étiez sur le Ahu (plate-forme cérémonielle) il fallait alors hisser ces géants de pierre (je rappelle 50 t en moyenne, une paille !) Et bien c’était la technique du caillou : à l’aide de cordes et de bras musculés on soulevait légèrement le moai et on plaçait des cailloux sur la partie qui avait quitté le sol. On fait une pause, et on recommence et ainsi de suite… jusqu’à ce que le moai soit droit comme un I… C’est seulement une fois que le moai était érigé sur le ahu que l’on plaçait dans ses orbites des yeux de corail pour représenter le “visage vivant” d’un ancêtre particulier : l’iris devait être constitué d’un disque plus petit d’obsidienne (ou éventuellement de scories rouges).
Oui mais et les petits chapeaux ? Effectivement certains moai portent encore le Pukuao : c’est une sorte de chapeau rond de pierre rouge. Les chefs portaient des cheveux long, teintés de rouge à l’aide de terre et ramassés en chignon, ce que symbolise le fameux Pukuao (pour info, leur poids moyen dépasse une dizaine de tonnes.)
Sur la plage d’Anakena, nous aurons une pensée pour une autre Anakena, petite blondinette aux yeux bleus qui porte si bien ce nom, et vit à Tahiti (Solange, on a tourné dans tous les sens, mais Tahiti ne rentrait définitivement pas dans notre budget, mais c’est promis ce sera pour une autre fois). Le Roi vaincu polynésien Hotu Matu’a, héros mythique partit à la recherche d’une terre d’accueil, comme c’était alors la tradition. Il débarque à Rapa Nui sur cette plage, avec son épouse et sa suite pour fonder la première dynastie de l’île. Chacun de ses six fils serait à l’origine des principales tribus (mata). Hotu Matu’a aurait auparavant envoyé en éclaireurs, sept fils de chefs, ultérieurement divinisés sous la forme des sept moai : ce sont d’ailleurs les seuls qui sont tournés vers la mer et les Marquises.
Comme le temps continue à être vraiment biiiiiip ce sera balade au mercado artesanial où Miguel nous montrera tout son art de sculpteur de moai. Son épouse Claudia n’aura de cesse d’offrir aux lutins des petits souvenirs, nous filons avant qu’elle ne nous donne toute sa production. Nous y retrouvons d’ailleurs Pauline et Sébastien et finirons la journée avec eux, autour d’une simili tartiflette faite maison, à papoter à loisirs (nous devons être en manque de gastronomie française et puis crotte il pleut, la tartiflette c’est de saison).
Demain est un autre jour, sauf pour la pluie… Pas grave, de nouveaux arrivants occupent la cabana d’en face. Dominik (allemand), Wenyu (chinoise), Yutga et Siga. Les enfants se sont bien trouvés et ont passé du bon temps ensemble (au choix nous pouvions converser avec Yutga en cantonais, allemand ou anglais… à cinq ans c’est pas mal non ?) Nous repartons affronter les éléments, et cette fois nos pas nous mèneront au bord du cratère de Rano Kau : la caldeira, large de 1 600m et parfaitement ronde se creuse sur 200m de profondeur. Au
fond, des dizaines de petits lacs couverts de totora (il est dit que tous les 7 ans certains s’ouvrent pendant que d’autres se ferment). Venus à des moments différents de la journée et donc d’ensoleillement, le fond nous offrira des couleurs changeantes de vert ou de bleu. Dans cet oasis insolite, règnerait un micro-climat : jusqu’en 1973, des familles descendaient pour y chercher de l’eau, laver son linge ou passer la journée tranquillement. Depuis, le site est protégé et l’accès est interdit mais la vue, avec cette ouverture sur l’océan reste magique !
Aux côtés de Dominik et Wenyu, nous passerons deux soirées délicieuses, et réussirons même le tour de force de faire cuire ce satané poisson au feu de bois (et pourtant vu l’humidité du bois c’était pas gagné d’avance). Délicieux !
Nous retournons sur différents sites et surtout sur la plage d’Anakena : et là miracle, le soleil est au rendez-vous ! Les enfants sont déchaînés et c’est la morsure du soleil qui, au bout de quelques heures, nous fera quitter ce lieu magnifique (un comble après 4 jours de pluie). Les chevaux et les vaches paissent en liberté, les teintes de la végétation se marient avec ce bleu si incroyable de l’océan, les moai sous le soleil ardent ou entourés de brume nous hypnotisent, nous ne nous en lassons pas…
Alors qu’en est-il des premiers pascuans ? La théorie la plus acceptée évoque un peuple polynésien, venu sans doute des îles marquises il y a 1 500 ans environ, à bord de grands canöés à double coque. La tradition pascuane est essentiellement orale, à l’exception des tablettes rongo-rongo qui restent encore aujourd’hui un mystère et ne sont que partiellement décryptées : c’est la seule forme d’écriture connue de la zone océanienne, elle se présente sous la forme de lignes de signes (il en existe environ 120). Leur lecture est très particulière, à chaque ligne, il faut retourner de haut en bas la tablette de bois sur laquelle ils sont gravés (quand on peut faire simple c’est pas fun je sais…) Nous apprendrons par des locaux passionnés de leur histoire que cette écriture n’est apparue finalement que lors des différentes invasions : comment ne pas imaginer que les écritures soient les plus fortes quand des hommes débarquent sur votre île, brandissant un papier rempli de signes incompréhensibles, stipulant que les terres sur lesquelles vous viviez depuis des générations leur appartiennent désormais…
Comme la quasi totalité des indigènes d’Amérique du sud, les Pascuans ont été décimés. En 1722 c’est Roggeveen dont j’ai déjà parlé qui découvre officiellement l’île, avec les premiers échanges de coups de feu : les Pascuans eurent alors un avant-goût de ce que les futures rencontres allaient leur apporter. En 1770 le vice-roi du Pérou prend possession de l’île au nom de l’Espagne. La première moitié du XIX siècle sera marquée par différentes expéditions sur Rapa Nui afin essentiellement de piller et de capturer des esclaves. En 1863 Rapa Nui vivra une tragédie : six bateaux péruviens débarquent (je veux pas dire, mais le Pérou ne les a pas lâchés…) pour réduire en esclavage la plus grande partie de la population et l’emmener dans les mines de guano – un millier de personnes est capturé (ceux qui résistent seront tués, et quand on voit la topologie de l’île il n’y a aucune cachette, mis à part certaines caves qui étaient facilement démasquées). A l’époque, la France proteste ainsi que le Chili (ce dernier avec une petite idée derrière la tête…) Sous la pression, le Pérou se décide à délivrer les pascuans. Il est malheureusement trop tard : 80% des prisonniers sont morts. Une centaine de survivants rembarquent pour Rapa Nui mais pendant le voyage, la variole décime les passagers. Seuls 15 rescapés poseront le pied sur leur île ancestrale ! ils transmettent malgré eux des maladies et en 1864, sur les 5 000 habitants que comptait l’île avant le raid (autant appeler un chat un chat) il n’en reste plus que quelques centaines.
En 1868, profitant de la faiblesse et du dénuement de l’île, les archéologues du British Museum, après avoir sévi en Grèce, viennent se servir dans l’île et s’emparent des plus beaux moai.
Comme on ne s’était pas assez acharnés sur les pascuans, début XXeme, les terres furent louées à une compagnie britannique pour l’élevage de moutons. Les habitants sont rassemblés à Hanga Roa et le village entouré de barbelés : toute circulation est interdite après 18h, les pascuans sont littéralement prisonniers dans leur village, alors que quelques dizaines de moutons paissent en liberté sur toute l’île ! Le contrat de location prend fin en 1952. Sous prétexte de défense stratégique, les militaires chiliens renforcent leur emprise en prenant le contrôle de 90% du territoire (quand ils ont une idée derrière la tête, les chiliens ne l’abandonnent jamais). Ce n’est que vers 1960 que le régime se libéralise.
C’est seulement en 1966 que les pascuans acquièrent le droit de vote et obtiennent des papiers d’identité. Aujourd’hui c’est le tourisme qui est la première richesse de l’île et lui assure un niveau de vie supérieur à celui de la mère patrie. Les Pascuans humiliés, colonisés, ont enfin retrouvé la fierté de leur culture unique et de leur île si belle, si fascinante. En tant que touristes, on le sent nettement en croisant parfois des visages fermés et fiers, et à l’insistance à dire Iorana et non pas Buenos Dias.
Il nous faudra utiliser notre dernier jour pour rencontrer Soané, et faire exécuter pour Samuel et moi un souvenir à vie de cette belle île, et plus généralement de notre voyage… Je suis sure que vous avez deviné… Et pour te répondre, Sté, sur la durée de notre séjour, nous ne nous sommes pas ennuyés une seconde : l’île est très riche culturellement, nous avons pris notre temps pour découvrir des sites à plusieurs reprises (surtout quand il fait moche, ça fait plaisir d’avoir une seconde chance) essayer des petits chemins de traverse (ok on l’avoue, l’un d’eux aura été plus fort que notre pauvre voiture) et vivre au rythme des pascuans. Quitte à venir découvrir leur île nous voulions le faire pleinement.
Nous étions arrivés quasi vierges de toute information sur Rapa Nui, nous en sommes repartis emplis de connaissances et théories, de paysages et de couleurs ennivrantes, mais surtout de ressentis incroyables. La force d’un moai est indescriptible, qu’il vous tourne le dos ou vous fasse face, c’est une montagne d’histoire qui vous observe, le regard droit et quasi indifférent. Cette aventure, nous ne l’avons pas seulement vécue à cinq, cette fois une 6ème personne était à nos côtés en esprit, Tatie Chounette, tu as réalisé ton rêve par procuration, tu nous a accompagné à chaque instant, cette escapade à Rapa Nui nous te la dédicaçons.
Enfin, Miguel et son épouse Claudia ont tout fait pour que notre séjour soit paradisiaque et ils ont pleinement réussi leur tâche. Maururu !
et beh… ca laisse le souffle coupé !
merci pour ce reve ( encore un!) par procuration. decidement… y a t il encore de la place dans vos memoires pour stocker tous ces moments ?
Et bien, grâce a vous, nous allons être incollables sur l’ Ile de Pâques. Du rêve concrétisé par vos photos et récit. Merci.
En plus vous avez du apprécier de vrais bons lits. Nous voyons que les découvertes, il y en a encore et toujours et certainement jusqu’au dernier jour de votre périple. C’ est ce que nous vous souhaitons de tout notre cœur. Les lutins sont plein de vie, c’ est très agréable de les voir aussi espiègles et plein d’ énergie.
Iorana a vous aussi. Bien tendrement . On vous aime fort fort fort……..